Pour m'entraîner et me changer les idées, j'aime écrire des petites histoires, plus ou moins longues, de thèmes différents.
Aujourd’hui : une existence pelucheuse
Cela fait
presque trois semaines que je suis pendu là, à observer et à attendre. Attendre
que l'on me choisisse moi et non Titi ou Garfield. Et encore, moi, je ne suis
pas le pire. Le tigre à côté de moi, il est accroché là depuis presqu’un an !
C'est ça le problème quand vous n'êtes pas célèbre : personne ne veut de vous.
Je vois les gens passer, enfant ou adulte, ils tirent sur la corde, et gagnent
une petite peluche. Pour nous obtenir, il faut quand même dépenser pas mal d’argent.
Je pense que c'est d’ailleurs pour ça que les gagnants choisissent ceux d'entre
nous qui sont célèbres, il faut bien rentabiliser. Alors je regarde la vie de
la fête foraine de ma place, en attendant mon tour. C'est toujours mieux que le
carton dans lequel je me trouvais avant.
Et pourtant,
j'ai décidé de prendre ma vie en main. J'ai entendu un père dire à son fils que
la vie appartenait à ceux qui se lèvent tôt. Je ne suis pas d'accord. Bien au
contraire, le destin sourira à ceux qui se couchent tard. Et justement, les forains
sont connus pour être des gens de la nuit. En trois semaines, j'ai bien eu le
temps de m'en rendre compte. Et tard dans la soirée, quand les enfants
commencent à se faire rares, mon forain va toujours draguer la diseuse de bonne
aventure qui est installée à côté. Je ne sais pas depuis combien de temps leur
manège dure, en tout cas, moi, ça m'arrange. Ça va être ma porte de sortie.
Donc j'attends
là, tranquillement pendu au milieu des autres peluches que le moment tant
attendu arrive. Les familles disparaissent peu à peu, laissant place aux
jeunes, plutôt intéressés par les gros manèges. Mon forain part donc voir sa
demoiselle et mon évasion peut commencer.
Depuis
plusieurs soirs déjà, je me balance pour fragiliser la corde qui me retient.
Aujourd'hui, je sais qu'elle ne tient plus qu'à un fil. Je recommence donc à me
balancer, de gauche à droite, et de droite à gauche. Et puis, POUF, je me
retrouve par terre, au milieu de la poussière, heureux. Je regarde mes
compatriotes : seul le tigre m'observe, envieux. Je lui fais signe de l'aile de
me rejoindre mais il hoche négativement la tête. Il reste fidèle à notre forain
et il continue de s'accrocher à l'espoir qu'un jour, quelqu'un le choisira,
lui.
De mon côté, je
secoue mes plumes de tissu pour en faire tomber la poussière et je m'enfuis par
la porte, restée ouverte. Et là, je me retrouve nez-à-nez avec une géante de
fer et de lumière, immense, ronde, majestueuse. De notre stand, je n'avais
jamais pu la voir. Quel dommage, elle est superbe, je pourrais rester des
heures à la contempler. Mais pas ici, pas si près du lieu de mon évasion. Je
dois m'en éloigner, et en profiter pour me rapprocher de cette beauté qui
tourne, tout en douceur et en grâce. Je marche un peu et je me trouve un petit
coin tranquille, à l'abri des regards et avec une vue inégalable sur cette
attraction.
Une canette
vide heurtant ma tête me sort de ma contemplation. Mon but était de quitter
cette vie d'artifices, je dois donc en trouver la sortie. Je longe l'arrière
des manèges, en faisant bien attention aux portes ouvertes. J'arrive devant un
panneau illuminé annonçant du pop corn. Ça, je connais, tout comme les barbes à papa. Par contre,
je n'en connais pas l'odeur. Les idiots qui m'ont créé ont oublié de me faire
des narines ! Comme si nous, les canards, n'avions pas d'odorat. Ah je vous
jure ! Et je ne peux pas non plus les goûter car, sur la même lignée, ils m'ont
cousu le bec ! Il faudrait que quelqu'un leur explique que les peluches sont
vivantes. Ou alors ils le savent, et c'est pour ça qu'ils nous enlèvent la
possibilité de nous exprimer.
Quoi qu'il en soit,
je découvre la machine à pop corn.
— Oh regarde
Maman, un canard en peluche !
Je me fige, ils
ne doivent pas savoir que je peux me déplacer.
— Laisse-le
Etienne, il est tout sale.
Oui, Etienne,
écoute ta maman et laisse-moi tranquille.
Malheureusement,
c'est un gamin qui n'écoute pas ses parents. Il s'approche de moi et me prend
dans ses bras. Quel agréable contact, ça me dirait bien de rester là, bien au
chaud.
— Regarde maman
comme il est mignon. Et il est tout seul. Il n'a pas de famille, on ne peut pas
l'abandonner !
Sa mère
capitule et Etienne me garde bien chaudement contre lui tandis que nous
quittons la fête foraine. Sur le chemin menant au parking, nous croisons mon forain.
Je me recroqueville légèrement sur moi-même. Etienne semble sentir ma peur car
il me presse davantage contre lui, pour me cacher. Le forain n'a pas un regard
pour nous et je me retrouve à l'arrière de la voiture, sur les genoux d'Etienne
qui me tient fermement serré contre lui.
Quand enfin la
voiture s'arrête, il fait bien trop sombre pour que je discerne autre chose que
la maison qui est maintenant également la mienne.
Etienne et sa
maman montent à l'étage, moi, toujours blotti dans les bras de l'enfant.
— Par contre,
tu ne le prends pas dans ton lit, il faut d'abord le nettoyer, on ne sait pas
où il a pu trainer.
Ah ba merci
pour la confiance !
— Et quand il
sera propre, il pourra dormir avec moi ?
— Oui, mais on
fera ça demain. Il est tard, tu vas te coucher !
— Mais il va
croire qu'on le délaisse de nouveau !
Tout à fait,
merci de prendre ma défense, Etienne !
Elle soupire.
— Ok, tu peux
le mettre dans ta chambre, mais tu ne dors pas avec ! Et demain matin, on le
lavera.
Tout heureux,
Etienne m'entraîne dans sa chambre.
— Je n'ai pas
le droit de te prendre avec moi dans le lit, m'explique-t-il, mais je vais
quand même t'installer confortablement pour la nuit.
Sur ces bonnes
paroles, il me pose par terre tandis qu'il va récupérer un carton qu'il vide.
Il met au fond un coussin et par-dessus une couverture pliée en quatre. Il
vient ensuite me récupérer et m'installe dans la boîte.
— Voilà, comme
ça tu seras bien au chaud.
Il me borde
comme il faut et après un dernier bisou sur mon grand bec, il va se coucher à
son tour.
Le lendemain,
quand la maman d'Etienne me trouve dans le carton, elle secoue la tête mais ne
fait aucune remarque.
— Allez, il est
temps de le mettre à la machine.
— À la machine
? s'écrie Etienne, mais tu vas le tuer ! Il va se noyer.
Euh, Etienne,
je ne respire pas...
— Et pendant
l'essorage, il risque de se déchirer.
Ok, là, en
effet, ça risque de poser un problème.
— Il peut pas
prendre un bain plutôt ?
— D'accord, si
c’est dans le lavabo et que tu t’en occupes.
Les
négociations prennent fin et je me retrouve dans la salle-de-bain, dans une
vasque blanche dans laquelle Etienne fait couler de l'eau.
— C'est pas
trop chaud ? me demande-t-il.
Bien au
contraire ! C'est très agréable cette sensation de chaleur humide. Par contre
j'ai l'impression de grossir à vue d'œil !
— Oh non ! Tu
avales toute l'eau !
Etienne, mon
bec est cou...
— Maman ! me
coupe-t-il, le canard est en train de doubler de volume !
Me voilà à
moitié rassuré. Je ne me faisais pas des idées quant à ma prise de poids
subite !
— C'est normal,
lui réponds-elle, mais ça sèchera. Ça prendra du temps par contre.
— Combien de
temps ?
— Deux jours,
peut-être trois.
Etienne secoue
la tête.
— Ne t'inquiète
pas, me rassure-t-il, on trouvera un moyen pour te sécher plus rapidement.
En attendant,
il me frotte dans tous les sens avec du savon et un gant. Il vide ensuite toute
l'eau du lavabo pour en remettre de la propre et me frotter de nouveau. Il doit
faire ça à quatre reprises pour que j'arrête de dégorger de l'eau savonneuse.
Il m'emporte
ensuite auprès de sa mère et, sur le chemin, nous laissons de grandes flaques
d'eau. Du coup ça ne m'étonne pas vraiment que sa maman rouspète.
— Tu aurais dû
le sécher avec une serviette d'abord.
Retour à la
salle-de-bain et Etienne recommence à me frotter, cette fois-ci avec une
serviette.
Mais je reste
toujours trempé malgré ses efforts. Il décide de me faire sécher au
sèche-cheveux. Nouvelle sensation agréable, sauf quand il le rapproche trop de
moi. Finalement, il opte pour une alternance de friction à la serviette et de
sèche-cheveux. C’est ainsi qu’il arrive à me sécher pratiquement en entier pour
l'heure du déjeuner.
Notre vie
ensemble peut ensuite commencer.
**
Quatorze ans se
sont écoulés depuis ce fameux soir de fête foraine. Nous avons d'ailleurs fêté
cet anniversaire tous les ans. Je suis devenu son fils, son frère, son ami, son
confident. Par contre, il m'a toujours appelé « le canard ». Persuadé
que j'avais un véritable nom, il refusait de me rebaptiser. Il ignore que je
n'ai pas de nom, hormis celui qu'il m'a donné, et auquel j'ai fini par
m'habituer.
Nous avons vécu
toutes sortes d'aventures tous les deux, que ce soit dans la prairie à côté de
la maison ou à l'autre bout du monde, quand il a commencé à devenir plus grand.
Il m'a toujours emmené avec lui, complètement imperméable aux remarques désagréables
de ses compagnons. Et surtout, il m'a toujours défendu, que ce soit auprès de
sa mère, de ses copains ou encore du chien du voisin qui m'avait attaqué
sournoisement quelques étés après mon arrivée. Etienne et moi jouions
tranquillement aux explorateurs dans les hautes herbes de la prairie quand le
chien a déboulé et m’a pris dans sa gueule. Etienne avait alors coursé le chien
qui n'avait cédé que sous les ordres de son maître. Je m'en étais tiré avec
seulement une coupure, que notre maman avait recousu.
Beaucoup de
souvenirs sont attachés à cette prairie que j’ai connue toute ma vie. Depuis
que je sais que nous allons bientôt la quitter, je passe plus de temps à l’observer
de la chambre d'Etienne. Maintenant qu'il est diplômé, il peut accomplir son
rêve, qui est également devenu le mien : habiter en bord de mer. Nous avions
fait la route ensemble quand il était parti pour faire des visites, mais il
m'avait laissé à l'hôtel. Bien sûr. Ça fait bien longtemps que nous
fonctionnons ainsi.
D'ici une
semaine, nous aurons déménagé. Et j'ai hâte de découvrir notre logement. Mon
rêve serait d'avoir une vue imprenable sur l’horizon pour voir tous les bleus
que seuls la mer et le ciel peuvent inventer en se mélangeant. Je pourrai voir
la brume du matin se disperser peu à peu. Je pourrai voir l’écume des vagues. Je
pourrai voir les oiseaux. Je pourrai voir tellement de choses ! J'ai
vraiment hâte.
Quand enfin on
y sera, je suis sûr d'une chose : je passerai la journée assis, à regarder la
mer, immobile. Comme il y a bien longtemps chez le forain. Mais cette fois,
sans jamais m'en lasser.
**
Cette histoire est inédite qu'à moitié car je l'avais fait concourir en 2015.
Sam Valdez
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Cette histoire est inédite qu'à moitié car je l'avais fait concourir en 2015.
Sam Valdez
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